Jean-Philippe Astolfi
Photographies
Note d'intention
"Prélèvements : Le fleuve Rhône en transects"
Proposition en réponse à un appel à un concours organisé par la Fondation François Schneider.
Thème imposé : L'eau
http://www.fondationfrancoisschneider.org/concours-talents-contemporains/
« Ce qui m’intéresse, ce sont les rapports entre les arts, la science et la philosophie. Il n’y a aucun privilège d’une de ces disciplines sur une autre. Chacune d’entre elles est créatrice. Le véritable objet de la science, c’est de créer des fonctions, le véritable objet de l’art, c’est de créer des agrégats sensibles et l’objet de la philosophie, créer concepts.
A partir de là, si l’on se donne ces grosses rubriques, aussi sommaires soient-elles : fonction, agrégat, concept, on peut formuler la question des échos et des résonances entre elles. Comment est-il possible que, sur des lignes complètement différentes, avec des rythmes et des mouvements de production complètement différents, comment est-il possible qu’un concept, un agrégat et une fonction se rencontrent ?»
Gilles Deleuze, Pourparlers, Editions de minuit, 2003
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Prélèvements
Dans Philosophie de la photographie (1) Henri Van Lier identifie plusieurs catégories d’empreintes photographiques dont il dit que « c’est là que ça se joue » : L'empreinte photonique, l'empreinte à distance, l'empreinte cadrée, l'empreinte isomorphique, l'empreinte synchrone, l’empreinte positive-négative, l'empreinte analogique et digitale, l'empreinte surchargée et sous-chargée ; autant de prélèvements photographiques qu’ils serait possible d’associer à autant de pratiques photographiques.
Ce médium dont la définition oscille au gré des usages qui lui sont associés entre témoignage, métonymie, exemple et échantillon, demeure dans tous les cas le fragment donné à voir d’un réel qui reste insaisissable.
Ma pratique photographique peut être vue comme l’application d’un protocole mis en œuvre pour collecter des données, des « prélèvements » qui constituent la matière première à partir de laquelle l’œuvre s’élaborera. Enoncé au préalable de toute action de prise de vue ou de tout dispositif de monstration, ce protocole guide l’observation, délimite un champ d’investigation mais donne également un sens à la lecture. Ce mode opératoire ne doit pas seulement être vu comme une contrainte, « il reste dynamique, processuel pourrait-on dire, et porte en lui un appétit de résultats concrets et inédits. » (2), il s’inscrit comme prolongement des choix techniques que l’outil photographique impose.
Ce qui est extrait du monde par prélèvements nous en donne un échantillonnage qui permet d’élargir l’investigation du hors champ photographique et donne un éclairage aux bords dégradés qui fait flotter les frontières et prend en compte le reste du monde par un jeu de relations signifiantes. Le cumul de prélèvement permet d’associer le principe de simplification inhérent au médium photographique, cette capacité à réduire qui pousse à la disjonction, vers une vision plus complexe des interactions en jeu.
Le projet
Il sera question d’appliquer une méthodologie simulant la démarche scientifique tout en laissant le spectateur libre d’interpréter les données recueillies et d’en extrapoler les formes possibles de connaissances.
Le fleuve Rhône et plus particulièrement le Rhône supérieur, entre Lyon et Genève constituera l’objet « à analyser ». Des « prélèvements » y seront réalisés sur tout son parcours, avec régularité, en des lieux que seul la vitesse de la marche permet d’appréhender. Les échantillons seront constitués de prises de vue photographiques réalisées pour la moitié inférieure en subaquatique et pour moitié supérieure en affleurement des eaux avec le paysage comme arrière-plan. L’image ainsi réalisée donnera une vue en coupe du fleuve et de son contexte environnant. Les photographies seront tirées en grand format sous acrylique pour en conserver le caractère d’échantillonnage sous lamelles.
(1) Henri Van Lier, Philosophie de la photographie, Les Cahiers de la Photographie, 1983, réédition Les Impressions Nouvelles
(2) Danièle Méaux, Protocole et photographie contemporaine, 2013, Publication de l’université de Saint Etienne.